Agents biologiques

 
  1. I.Généralités


    Le risque biologique appartient à la catégorie des menaces CBRN : Chimiques, Biologiques, Radiologiques, et Nucléaires. On utilisait auparavant le terme NBC (nucléaire, biologique, chimique) ; le risque radiologique s’est rajouté quand a été envisagé le possible usage d’une « bombe sale » par des groupements terroristes.

    Une bombe sale est constituée d’un explosif conventionnel, dont la détonation provoque la dispersion d’un matériau radioactif. Il s’agit d’une arme beaucoup plus facile à mettre en œuvre qu’un engin atomique.

    Le risque biologique sera décrit plus en détail dans les pages qui suivent, mais d’emblée on peut deviner qu’il correspond au danger présenté par certains agents vivants : virus, bactéries, toxines diverses, placés dans des mains malveillantes.

    Le risque chimique correspond, en milieu militaire, à l’utilisation par l’ennemi de gaz de combat. Ceux-ci furent notamment employés durant la première guerre mondiale par les Allemands, à Ypres, d’où le nom d’ypérite donné au gaz moutarde. Outre les vésicants dont fait partie l’ypérite, on distingue les neurotoxiques (famille à laquelle appartient le sarin, utilisé par la secte Aum dans le métro de Tokyo), les asphyxiants, les poisons sanguins (cyanhydrés), et des substances qui n’ont pas pour but de tuer mais d’altérer la capacité des soldats adverses à combattre (incapacitants). Outre les produits conçus à des fins militaires, ce risque comprend les catastrophes industrielles : explosion (intentionnelle ou non) d’une usine fabriquant, par exemple, des pesticides, et relargant dans l’atmosphère une grande quantité d’organophosphorés (neurotoxiques par inhibition de l’acétylcholinestérase, comme les gaz sarin, soman, tabun, vx).

Le risque nucléaire est celui résultant de la modification du noyau atomique, par fission ou fusion. 

  1. II.Agents biologiques



    L’OMS définit ainsi un agent biologique : il s’agit d’un micro-organisme qui provoque une maladie chez l’homme, les animaux ou les plantes, ou qui produit une détérioration des matériaux.


    Sont incluses les substances produites par ces organismes (toxines), même si dans ce cas la limite entre arme biologique et arme chimique est très théorique.

    Peuvent donc être utilisés, en principe, comme armes biologiques :


- des bactéries : Yersinia pestis, Burkholderia mallei,…

- des virus : variole, Ebola, Marburg, …

- des champignons : histoplasmes, coccidiomycètes…

- des toxines bactériennes : toxine botulinique, entérotoxine staphylococcique B

- des mycotoxines : saxitoxine,…

- des toxines animales : venins de serpent, de scorpions…

- des toxines végétales : ricine, …

    Les armes biologiques ont souvent été qualifiées de bombes atomique du pauvre, vu leur faible coût de production.


    À l’heure actuelle, le risque d’usage de ces armes dans un contexte militaire est fort limité, vu qu’elles sont universellement prohibées, et que toute nation qui se risquerait à les employer se verrait aussitôt mise au ban de la communauté internationale et exposée à de sévères représailles.


    L’usage terroriste d’agents biologiques, en revanche, n’appartient pas au domaine de la fiction ou de l’histoire, comme en témoignent les lettres au charbon qui ont terrorisé les USA et le monde entier en 2001.

  1. III.Bioterrorisme



    Il s’agit de l’utilisation, par des individus ou des organisations, d’agents vivants, ou de substances produites par ceux-ci, à des fins meurtrières, de sabotage, pour susciter la peur, déstabiliser les structures sociales. Par exemple, contamination des sources d’eau potable par de la toxine botulinique, en vue de tuer un maximum d’individus possible. L’utilisation d’agents biologiques comme armes de destruction massive n’est pas l’unique possibilité, il s’agit même de la plus difficile à mettre en œuvre. En revanche, l’histoire nous a montré qu’atteindre quelques individus suffit à induire la peur, la panique recherchée par les terroristes. C’est le cas des lettres au charbon ; elles ont tué peu de victimes, mais ont eu un impact important sur l’ensemble de la population américaine, voire mondiale.

  1. IV.Catégories du CDC



    Les CDC, Centers for Disease Control and prevention, ont établi en 1999 une liste d’agents répartis en trois catégories (tableau I) selon leurs implications en terme de santé publique ; ils sont commentés succinctement ci-dessous, mais font l’objet de fiches cliniques séparées, plus détaillées, présentées en annexe et sur le site internet :

- La catégorie A

Désigne les agents dont il faut en priorité se méfier, car ils posent un risque pour la sécurité nationale, pour les raisons suivantes :

        - Ils peuvent être aisément disséminés ou se transmettre de personne à personne ;

- Ils ont un taux de mortalité élevé et un potentiel impact majeur sur la santé        publique ;

- Ils peuvent causer de la panique, un désordre au sein de la société ;

- Ils exigent des mesures de préparation de la part des autorités de santé publique.

Agents de la catégorie A



  1. 1.Charbon



    Le charbon est causé par une bactérie, Bacillus anthracis. La maladie se présente sous trois formes chez l’homme : cutanée, pulmonaire, et gastro-intestinale, mais ce sont surtout les deux premières qui présentent une importance dans le contexte bioterroriste. Nul n’a oublié les lettres contenant des spores qui ont tué cinq personnes aux États-Unis en 2001, ce qui fait de la maladie du charbon une menace plus que réaliste. B. anthracis a fait l’objet de nombreuses études dans les programmes biologiques offensifs de divers pays. Un largage massif de spores serait incolore, inodore, et pourrait parcourir plusieurs kilomètres avant de se disperser. Le diagnostic de la forme respiratoire doit se faire le plus précocement possible, en raison de la mortalité élevée si le traitement antibiotique subit un délai.

  1. 2.Botulisme



    La toxine botulinique est la substance la plus toxique connue.  Un gramme de cette toxine suffirait, théoriquement, pour tuer un million d’individus. Les cas naturels sont le plus souvent d’origine alimentaire, mais dans le cadre des armes biologiques et du bioterrorisme, une forme d’inhalation est possible. En principe, la symptomatologie de celle-ci ne différerait pas de celle de la forme d’ingestion.

  1. 3.Peste



    Véritable fléau qui a marqué l’histoire de l’humanité, la maladie persiste dans certaines régions du monde défavorisées. En cas d’attaque bioterroriste, on se trouverait en présence de peste pulmonaire primaire, vu l’utilisation probable d’aérosols.

4. Variole

    La variole occupe une place à part dans l’histoire de la médecine et cela, pour deux raisons. Tout d’abord, elle est reconnue comme étant l’un des pires fléaux auxquels l’humanité a dû faire face durant des siècles. Ensuite, il s’agit de la première maladie éradiquée par une stratégie de vaccination massive. Le dernier cas de variole (naturel) remonte à 1977, et la vaccination a été arrêtée au début des années 80 partout dans le monde. Cela signifie que la majorité de la population mondiale n’a pas été vaccinée, et que ceux qui l’ont été ne présentent probablement pas une protection suffisante pour pouvoir faire face à l’infection.

    Il n’existe, officiellement, que deux laboratoires au monde disposant du virus. L’un se situe aux USA (CDC), l’autre en Russie. Il faut noter que l’URSS disposait d’une capacité de production industrielle de virus varioleux et qu’avec l’effondrement du bloc de l’Est, l’expertise scientifique pourrait être vendue à des organisations terroristes.

La stabilité des orthopoxvirus en aérosols, le faible inoculum nécessaire, font de la variole une arme biologique crédible et terrifiante.

5. Tularémie

Moins connue du public médical non spécialisé, cette affection n’en appartient pas moins à la catégorie A du CDC, en ce qu’elle est susceptible de provoquer, chez un grand nombre de personnes, après dispersion par aérosols, une pneumopathie sévère précédée de signes d’infection respiratoire supérieure banals. Il s’agit d’un des agents biologiques qui ont été les plus étudiés dans la perspective d’une utilisation militaire.

6. Fièvres virales hémorragiques

Notamment adaptés en armes biologiques par les programmes de développement américains et russes, les virus tels qu’Ebola, Marburg, Lassa, constituent par leurs caractéristiques des menaces redoutables.

- La catégorie B

Reprend les agents dont la priorité est secondaire. Ils possèdent les caractéristiques suivantes :

- Ils sont modérément aisés à disséminer ;

- Leur taux de morbi-mortalité est modéré ;

- Ils requièrent des améliorations spécifiques de la capacité de détection du CDC et des mesures de surveillance améliorées.

Agents de la catégorie B :


1. Brucellose

2. Toxine epsilon du Clostridium perfringens

3. Menaces à la sécurité alimentaire

4. Morve et mélioïdose

5. Psittacose

6. Fièvre Q

7. Ricine

8. Entérotoxine staphylococcique B

9. Typhus

10. Encéphalites virales : Encéphalite équine du Venezuela (VEE), …

11. Menaces à la sécurité des eaux de consommation

- La catégorie C

Inclut les pathogènes émergents qui pourraient être produits massivement pour dissémination future en raison :

- de leur disponibilité ;

- de leur facilité de production et de dissémination ;

- d’une forte morbi-mortalité potentielle et d’un impact majeur sur la santé.


On y retrouve des maladies infectieuses émergentes telles que le virus Nipah et les hantavirus.

    La liste des agents infectieux et des toxines susceptibles d’être utilisés par des individus ou groupes animés d’intentions malveillantes n’est cependant pas exhaustive. Outre les innombrables pathogènes viraux, bactériens, et même fongiques accessibles dans la nature, les biotechnologies modernes permettent de développer de nouveaux agents, d’accroître l’infectiosité, la sévérité de maladies banales, conférer une résistance aux antibiotiques. Les limites sont les seules imaginations malades des scientifiques voués aux causes extrémistes et les moyens techniques mis à leur disposition.

    Dans ce travail, je me suis concentré essentiellement sur les agents de la catégorie A du CDC, ainsi que sur certains de la catégorie B. Il s’agit en fait de la classique dirty dozen.  La priorité, pour la première ligne de soins, est de pouvoir, selon moi, détecter le plus tôt possible les affections telles que la variole, la peste et les fièvres hémorragiques virales, dont la propagation au sein de la population poserait un problème majeur de santé publique qui affecterait non seulement la Belgique, mais aussi, vu l’accessibilité des moyens de transport, le reste du monde.

  1. V.Critères de weaponization



    Les militaires ont établi des critères caractérisant les « bonnes » armes biologiques potentielles.


    Un agent idéal possède les caractéristiques suivantes :

- il produit un effet probable ou certain : maladie ou décès.

- Il est efficace à des doses faibles et hautement infectieux

- Il possède une période d’incubation courte et prévisible

- Il est difficile à diagnostiquer parmi la population cible

- Il es facile à produire, à stocker, à transformer en arme (weaponization)

- Il est stable dans l’environnement

- Il ne persiste pas longtemps après l’attaque

    La population cible, quant à elle, est d’autant plus susceptible si elle ne présente aucune immunité naturelle (ou vaccinale), et si elle ne dispose pas d’accès aisé au traitement ou à la prophylaxie.


    Bien entendu, d’un point de vue militaire, il est utile, si l’on souhaite utiliser ce genre d’armes, de disposer de protections, de vaccins, de traitements pour ses propres troupes.


    Les terroristes, quant à eux, se montreront probablement moins exigeants. Leurs objectifs peuvent être atteints même en l’absence d’un nombre important de victimes. Remarquons qu’un canular peut provoquer un effet de panique identique à la distribution de quelques lettres contenant des spores du bacille du charbon.

Virus Ebola

Francisella tularensis

Gauche : bifurcated needle utilisée pour la vaccination contre la variole ; droite : patient atteint de variole

Epidémie de peste

Clostridium botulinum

Lésion typique de charbon cutané

Gauche : victime de la bombe atomique ; droite : explosion nucléaire

Ci-dessus, à gauche : attaque du métro de Tokyo au gaz sarin

Ci-dessus, à droite : effects d’un agent vésicant sur la peau

Ci-contre : utilisation de gaz de combat (phosgène)

Gauche : virus marburg ; milieu : Y. pestis ; droite : structure de la toxine botulinique

La bombe sale