Indices épidémiologiques et démarche diagnostique

 

De la suspicion épidémiologique au diagnostic différentiel

    Je propose une démarche en trois étapes, qui seront détaillées plus loin :


I. Suspicion épidémiologique

II. Algorithme diagnostique

III. Actions

  1. I. Suspicion épidémiologique :


      Les agents biologiques n’ont pas de signes pathognomoniques qui permettraient de les identifier à coup sûr dès la phase prodromique. Le plus souvent, leur symptomatologie est peu spécifique : syndrome fébrile qui n’évoque rien de spécial chez un praticien de première ligne confronté quotidiennement aux infections virales banales.


Il importe dès lors de fonder son raisonnement, non seulement sur l’approche classique des signes et symptômes présentés par le patient, mais aussi sur une suspicion épidémiologique, cherchant à identifier des signaux d’alerte, ou « red flags » évocateurs d ‘un possible incident bioterroriste.


En voici une liste non exhaustive, adaptée aux médecins généralistes.

1. Nombre de cas important chez des patients normalement en bonne santé.

C’est ce qui est décrit dans notre exemple initial : le médecin note une fréquence inhabituelle de syndromes fébriles suivis d’une éruption maculo-papulaire chez des individus jeunes sans problème de santé particulier.

La suspicion est d’autant plus élevée si les individus sont susceptibles d’une exposition commune, soit en raison de leur activité professionnelle (militaires, postiers,…), soit parce qu’ils ont été présents au même endroit à un moment donné (concert, spectacle, meeting politique…)

2. Identification d’une maladie rare.

Il n’est pas nécessaire d’être confronté à de nombreux cas si l’on fait face à une hypothèse diagnostique plausible de pathologie non endémique, ou nécessitant un vecteur qui n’est pas présent dans la région où l’on se trouve. Il s’agirait par exemple d’un cas de peste bubonique sans notion de voyage en zone d’endémie, ou une fièvre jaune alors que le vecteur nécessaire à la transmission de la maladie (moustique) n’est pas présent en Belgique, et que le patient n’a pas quitté le territoire national depuis des années.

3. Manifestations inhabituelles d’une pathologie commune.

Le praticien croit avoir identifié une maladie banale, comme la grippe saisonnière, mais observe chez ses patients des complications plus nombreuses que prévues, ou des décès. La maladie peut aussi toucher une population inhabituelle, une tranche d’âge en particulier.

4. Manifestations rares d’une pathologie.

C’est le cas, par exemple, d’un charbon pulmonaire. Comme la plupart des cas de charbon sont cutanés, la présence d’un seul cas de la forme respiratoire suggère une origine malveillante à l’affection.

5. Niveau d’alerte.

La vigilance du praticien doit être accrue dans un contexte de menace terroriste en général, et bien entendu encore davantage si la presse et les pouvoirs publics rapportent qu’un groupe terroriste a déclaré qu’il frapperait bientôt le pays en usant d’armes non conventionnelles.

L’existence d’un événement anormal, comme un accident, une explosion, auquel auraient assisté les malades, doit aussi amener le médecin à s’interroger.

6. Attaque bioterroriste avérée.

Il va de soi que si l’on a objectivé un attentat bioterroriste sur le territoire belge, le niveau de suspicion général doit être accru.

7. Épizootie concomitante.

De nombreuses maladies causées par les agents biologiques touchent aussi les animaux. Si l’on observe dans l’environnement des morts animales inexpliquées, d’autant plus si des pathologies humaines inhabituelles (en fréquence ou en symptomatologie) apparaissent, il importe d’inclure le bioterrorisme dans le diagnostic différentiel.

II. Établissement d’un diagnostic différentiel.


    En présence d’une suspicion épidémiologique suffisante, ou si les symptômes d’un seul individu suffisent à réveiller quelques notions enfouies dans la mémoire du praticien (par exemple : bubons, ou lésions suggérant un charbon cutané), ce dernier pourra utiliser l’algorithme présenté en annexe I de ce travail, ou sa version en ligne. Il suffit d’identifier quelle est la symptomatologie prédominante : dermatologique, neurologique, respiratoire, ou digestive, pour s’orienter vers diverses hypothèses. Pour chacune de celles-ci, une liste de diagnostics différentiels est proposée. Il incombe au praticien d’éliminer, par le raisonnement clinique ou le recours aux examens complémentaires adéquats, ces pathologies. Par exemple : en présence d’un syndrome pneumonique, avant de songer à la peste pulmonaire, il importe d’exclure la plus probable pneumonie acquise dans la communauté ; avant d’effrayer la population en annonçant le retour de la variole, il faut s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une triviale varicelle.

III.  Actions.


La question légitime que se posent la plupart des médecins généralistes et urgentistes est la suivante :  « Une fois que je suspecte un événement bioterroriste, que dois-je faire ? »


Selon moi, la première étape consiste en un recoupement d’informations. Il s’agit de contacter des collègues pour leur demander s’ils ont noté, récemment, des pathologies anormales, cela afin de rendre plus probants les indices épidémiologiques.


Par exemple, le généraliste appellera les confrères de son GLEM, le responsable du cercle de gardes, le service d’urgence de l’hôpital le plus proche.


Dans tous les cas, le praticien devra prévenir l’Inspecteur d’hygiène fédéral, qui prendra toutes les mesures que requiert la situation. (contact via le service 100)

    Selon la pathologie suspectée, avant même d’avoir infirmation ou confirmation du diagnostic, des mesures de précaution devront être envisagées. Je recommande au minimum que le patient soit isolé, qui à son domicile, si son état général le permet, qui en milieu hospitalier, et que les contacts reçoivent des consignes strictes d’auto-surveillance : prise régulière de la température corporelle notamment.


Notons d’emblée que le médecin traitant est bien évidemment lui aussi un contact, et qu’en l’hypothèse d’une maladie transmissible, il doit demeurer attentif aux symptômes qu’il pourrait lui-même présenter.


Dans les fiches (annexe) sont mentionnés, le cas échéant, prophylaxie et traitement. Ceux-ci ne devraient être prescrits qu’avec l’accord de l’inspecteur d’hygiène, ou en cas de force majeure, par défaut de consignes.